Accompagné de deux ministres et des principaux élus de la région, le Président de la République a entamé son après-midi marathon d’hier par la vallée de la Roya, l’une de celles qui ont été frappées de plein fouet par la tempête Axel. Un hasard ? Non, le concept n’existe pas en politique. Mais une nécessité. Car ce territoire est à fleur de peau vis-à-vis de la République depuis bien longtemps, 160 ans exactement. Décryptage.
« J’ai entendu la colère de la Roya »
Dans une interview exclusive, Denis Carreaux, le directeur des rédactions du Groupe Nice-Matin, lui pose la question : « Les habitants et des élus de la vallée de la Roya se sont sentis les oubliés de cette catastrophe les deux premiers jours, par rapport à la vallée de la Vésubie voisine. Avez-vous compris leur colère ? ».
« En tout cas, je l’ai entendue, tous me l’ont dit » réplique le Président « Si les hélicoptères sont arrivés plus tard qu’ailleurs, c’est, je pense, dû à l’enclavement plus fort que dans les autres vallées, le train et les routes coupées, les effondrements de ponts. De fait, les habitants ont eu le sentiment que les soutiens sont arrivés un peu moins vite ».
Certes, la haute-vallée meurtrie s’est trouvée coupée du monde pendant 48 heures, sans eau, électricité ni voies de communication. Mais les racines de la colère plongent beaucoup plus profond.
« Ne nous abandonnez pas ! »
Comme je le rappelle dans mon dernier roman policier « Crim’ à la Libé » qui vient de paraitre (Editions Gilletta Nice-Matin) et s’y déroule en grande partie, la haute-vallée de la Roya a en effet de bonnes raisons de se sentir oubliée de l’Hexagone. Porte de passage alpine obligée, espace interstitiel et convoité entre les empires, les royaumes et les nations, elle a été ravagée par les armées ennemies depuis la nuit des temps. Puis elle s’est sentie trahie par la Savoie qui l’a offerte à la France en contrepartie de son aide pour la libérer du joug autrichien et faire l’unité de l’Italie. Napoléon III, bon prince, lui a proposé un référendum d’adhésion comme tout le Comté de Nice. Mais ayant voté pour le rattachement à la France en 1860, elle est restée intégrée à l’Italie naissante, contre son gré. Même punition, même motif en 1945 où, malgré leur plébiscite local en faveur du rattachement à la France, les populations demeurent encore deux ans sous la tutelle italienne, subissant tracasseries et brimades de l’ancienne autorité.
Il s’agit donc du dernier territoire rattaché à la France en 1947 et il se demande toujours quelle place il occupe dans la mythologie française. Car tout y est compliqué, de la géographie tourmentée, à la politique et à l’économie. Les rectifications de frontière et leur cortège de procès pour arbitrer les différents économiques concernant les usines hydroélectriques, les pâturages, les coupes de bois se sont faites dans la souffrance. Coincé aux marches de la France, entre un littoral et un col tous deux italiens, cette vallée est une exception en quête d’identité et se sent otage des montagnes et des États. Le chemin de fer, déficitaire, est régulièrement remis en question. Le col de Tende, souvent fermé, fait l’objet d’un feuilleton judiciaire rocambolesque qui oppose deux États souverains et accentue l’enclavement de la vallée. L’entretien des usines hydroélectriques, du rail, des ouvrages d’art font l’objet de négociations sans fin entre Français et Italiens. La sanctuarisation du Parc national du Mercantour en a rajouté une couche. La polémique judiciaire de la solidarité de certains envers les migrants une deuxième. Et la fermeture de la frontière italienne durant le confinement de la Covid-19 une troisième. La principale activité économique y demeure celle des hôpitaux et des maisons de retraite sous perfusion. Triste symbole.
C’est donc ce lot de souffrances et de crispations d’un territoire qui y a créé depuis longtemps un sentiment d’abandon, surtout depuis qu’aucun homme politique d’envergure nationale ne la représente plus dans les hautes instances, depuis le départ du sénateur-maire de Tende, José Balarello. Voilà le douloureux terreau sur lequel la bombe climatique d’Alex a planté les racines de la colère. « Ne nous oubliez pas, on a besoin de vous ! » ont crié au Président les habitants sinistrés.
L’appel a été entendu et ce n’est que justice
Cette visite présidentielle sans filtre de courtisans ou de technocrates a été un beau moment d’émotion démocratique. Ces larmes aux yeux, ces visages creusés, ces cicatrices, ces propos sans fard ont visiblement touché le Président. Son regard embué, son élocution et ses gestes de réconfort ont révélé chez lui une empathie qu’on ne lui connaissait pas.
Certes, les promesses de reconstruction rapide, d’appui financier, de fonds d’urgence ont soulagé et rassuré ceux qui ont tout perdu. « Quand la machine France se met en route, c’est impressionnant » reconnait Jean-Pierre Vassallo, le maire de Tende, pourtant peu avare de critiques les deux premiers jours.
Mais la priorité que leur a apporté le Président dans sa visite-marathon du 7 octobre leur a apporté bien davantage : du baume au cœur. La reconnaissance de la nation tout entière, pour leur dire que leur vallée reculée est au centre des attentions et que la France ne laisse aucun de ses enfants sur le côté.
Le ballet ininterrompu des hélicoptères au-dessus de ma tête me fait m’évader vers là-bas, vers cette haute-vallée qu\’on voudrait tant aider mais dont on nous interdit toujours l’accès pour ne pas encombrer les fragiles voies de communication. Pendant une année, pour écrire mon livre, j’ai visité les recoins de la Roya, côtoyé beaucoup de ses habitants, j’ai échangé avec eux, cherché à comprendre les causes de leur sentiment d’abandon, je m’y suis fait des amis.
Alors, aujourd’hui je suis heureux que mon pays ait entendu leur désarroi et fier qu’il leur manifeste sa solidarité.
Bernard Deloupy
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