Oui, il existe un vaccin anti-confinement !

En cette période de pandémie, la télévision s’avère un allié formidable pour nous présenter l’actualité en boucle. Fidèle en cela à ce que Jean-François Clervoy, l’un des sept astronautes français et grand spécialiste en confinement, appelle « la nécessité de s’informer ». Mais comme le souligne le psychiatre militaire son frère jumeau Patrick Clercoy, expert en gestion du stress post-traumatique, celui-ci s’amplifie à mesure que se prolonge le confinement. Et la consommation à trop forte dose de la télévision est d’autant plus anxiogène que l’image est riche, fugace et capte notre attention. Elle sollicite la vue et l’ouïe dans un mécanisme instantané qui neutralise nos filtres cognitifs, ne laisse pas place à la réflexion et nous pousse à ingérer passivement un flux d’informations. Elle en devient d’ailleurs un redoutable outil de manipulation des esprits que les publicitaires utilisent à leur profit, ainsi que Patrick Le Lay, P.D-G de TF1, le reconnaissait en 2004 avec un cynisme assumé : « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible ».

Le challenge qui nous est proposé est donc de savoir l’éteindre à temps, au risque de sombrer dans un abrutissement progressif.

Alors, par quoi la remplacer ? L’écrivain Sylvain Tesson, Prix Renaudot 2019 et Président d’honneur du Festival du Livre de Nice (dont on saura dans quelques jours s’il est supprimé ou reporté) n’y va pas par quatre chemins : « Ne soyez pas confinés deux fois : lisez ! »

Replongeons-nous dans la lecture – c’est bon pour la santé !

Transformons l’inconvénient de ce confinement contraint en une opportunité et replongeons-nous dans la lecture en cette période propice à la réflexion. Elle offre plusieurs avantages :

  • Elle permet de vous évader, au lieu de vous asservir.
  • Elle incite à l’autonomie, en vous proposant d’aller chercher l’objet livre, au lieu de vous voir imposer un programme.
  • Elle est proactive : elle permet de se construire sa propre histoire en assimilant la pensée d’un autre, en faisant sienne sa narration, au lieu de la subir.
  • Elle fait travailler votre imaginaire en allant rechercher des briques dans votre bibliothèque personnelle de données, au lieu de recevoir passivement le montage d’un autre.
  • Elle vous permet de concentrer votre attention, au lieu de la fractionner et de la disperser, sans recul cognitif et sans conscience de soi.
  • Elle doit être décodée pour être comprise et participe activement à la structuration de votre esprit, au lieu de le nourrir d’une distraction prête-à-consommer.
  • Elle est pourvoyeuse d’émotions sur la durée, au lieu de sensations instantanées qui s’éteignent sitôt l’écran coupé.
  • Elle développe la mémoire et l\’esprit critique, au lieu d’imposer un modèle séduisant et formaté.
  • Elle favorise l’organisme, en l’apaisant, à glisser dans un sommeil plus réparateur, au lieu de le perturber par le bombardement neutronique sur un écran cathodique.
  • Elle est un mode d’enregistrement autorégulé : les yeux se posent 4 fois plus sur les mots complexes ou non-familiers et renforcent l’analyse des mémoires lexicale et sémantique, au lieu d’être exposé à un flux continu d’informations.
  • Elle augmente l’espace de représentation de votre cerveau, vous absorbe, vous transporte, efface le temps, au lieu de le faire s’écouler de façon linéaire.
  • Elle peut même induire la perception de certaines odeurs par le cerveau, au lieu de solliciter uniquement vos sens visuel et auditif.
  • Elle stimule un réseau composé de différentes régions corticales appelé le «réseau de théorie de l’esprit», qui correspond à la représentation que nous avons de l’esprit des autres, au lieu de nous enfermer dans une consommation identitaire.

Il ne s’agit pas là d’assertions gratuites mais de faits prouvés grâce aux formidables progrès de l’imagerie cérébrale. Un article paru dans Le Figaro du 12 mars 2018 révèle ainsi les incroyables bienfaits de la lecture sur notre cerveau.

  1. Elle facilite la plasticité neuronale en développant une aire de la forme visuelle des mots, cachée dans la région du cortex occipito-temporal de l’hémisphère gauche. Dans cette région, les circuits neuronaux, conçus pour la reconnaissance des objets et des visages, se recyclent pour déchiffrer l’écriture, mettant en place une interface nouvelle, une porte d’entrée vers le langage qui passe par la vision plutôt que par l’audition.
  2. Elle est un formidable outil de distraction, au sens de divertissement, bien sûr, mais aussi dans la faculté de la pensée consciente à mobiliser notre espace de travail global, situé dans le cortex préfrontal, qui ne peut pas réfléchir à deux choses à la fois. C’est pourquoi se plonger dans la lecture dissipe les autres pensées négatives et parasitaires, comme l’anxiété.
    Des chercheurs de l’université de Sussex ont ainsi conditionné des personnes volontaires dans un état de stress, puis testé sur celles-ci différentes méthodes de relaxation. Menée par le Dr David Lewis, cette expérience a montré que lire réduit de 68 % le taux de stress. Mieux qu’écouter de la musique (61 %), boire une tasse de thé ou de café (54 %) ou marcher (42 %). « Lire implique une participation active de l’imagination », confirme le Dr Lewis. « Les mots stimulent la créativité, modifiant l’état de conscience. Le temps s’arrête et cela débouche en à peine six minutes de lecture sur des bénéfices évidents pour la santé. »
  3. Elle mobilise totalement la conscience, ce qui ne créerait pas seulement des espaces de détente pour l’organisme, mais aurait des effets bénéfiques sur le long terme. Il apparaît en effet que les réactions cérébrales pendant la lecture sont proches des réactions en situation réelle. En ressentant ce que vivent les personnages, le cerveau vit des expériences vraies.
  4. Elle enrichit l’expression orale en alimentant ainsi la qualité de compréhension du monde et des autres, de leurs émotions comme de leurs comportements.
    Contrairement aux idées reçues, la lecture n’isole pas et n’éloigne pas de la réalité. C’est même l’inverse que constatent les scientifiques. Des régions identiques du cerveau s’activent quand on lit ou quand on pratique la méditation en pleine conscience. Les six minutes de lecture dans le calme évoquées par le Dr David Lewis suffisent à ralentir le rythme cardiaque et soulager certaines tensions musculaires.
    Dans les pays anglo-saxons, on développe depuis de nombreuses années des techniques de bibliothérapie, dont l’américaine Sadie Peterson Delaney, qui a travaillé avec des malades mentaux, mais aussi avec des traumatisés de la Première Guerre mondiale, fut une pionnière. En lisant des contes et des histoires oniriques à voix haute, a-t-elle remarqué, les soldats se sentaient mieux, sans savoir à l’époque qu’ils protégeaient ainsi l’espace du travail conscient de leur cerveau que les neuroscientifiques n’avaient pas encore découvert.
  5.  Elle aide à maintenir son cerveau en forme, à entretenir la mémoire, et semble retarder aussi les symptômes de certaines maladies neurodégénératives. Une étude réalisée sur le long terme, incluant 294 participants a ainsi révélé que des lecteurs réguliers présentaient 32 % de risques de dégénérescence mentale en moins que d’autres ayant une activité mentale moyenne. Pour des maladies comme Alzheimer, les résultats sont plus difficiles à analyser. Mais il semble que même si elle commence tard, la pratique régulière de la lecture, en mobilisant le cerveau, maintient un réseau de connexions plus redondant et donc plus robuste.

Laissons au psychologue cognitiviste et neuroscientifique Stanislas Dehaene le soin de conclure : « On s’aperçoit très clairement que, dans le cerveau des lecteurs, certaines connexions corticales à longue distance sont nettement plus efficaces. D’autres travaux, chez l’animal, montrent à quel point l’enrichissement de l’environnement augmente les arborisations dendritiques des neurones. Pour moi, c’est une métaphore de l’impact de la lecture. Son enrichissement extraordinaire modifie littéralement notre cerveau.»

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